2004, c’est l’année où les premières scènes du film sont tournées. Il faut faire vite: Nicolas et Yann n’ont que deux jours de disponibles ensemble sur les congés de nous quatre.
« Des braqueurs sont les premiers témoins et les premières victimes d’une invasion extra-terrestre.«
Un pitch qui posera un nombre incroyable de problèmes pour les nombreuses années à suivre.
Tourné sur quatre ou cinq jours, avec la frénésie d’un poulet qui court sans tête, les scènes s’enchaînent sans storyboard mais avec bonne humeur. Pas le temps de se poser de questions, on verra bien après…
T-shirt pré-découpé au cutter, crâne en plastique, coulis de framboise, une BX blanche, des pétoires en plastiques, un stabilisateur Aigle™ et une Sony™ Dvcam pour le tournage, pas besoin de plus.
Mais le premier montage est sans appel, il n’y a pas grand chose à sauver. Le film va ensuite rester plusieurs mois dans un coin de disque dur. Plusieurs autres courts métrages plus tard, le script original est oublié et les rushes revisionnés pour créer une histoire différente.
« Des gladiateurs affrontent sans fin des créatures infernales dans une arène virtuelle. »
Un pitch qui posera un nombre incroyable de problèmes pour les nombreuses années à suivre.
D’une durée de dix minutes, cette nouvelle version est toujours… bancale.
Le tournage d’une scène de flashback d’un des personnages est organisée sur Paris. Une actrice est engagée pour un après- midi et Fred rejoint l’équipe pour les prises de vues.
Nouveau montage et préparation des effets spéciaux: Jean s’occupera de la 3D avec Lightwave™, logiciel que l’on suit depuis la version 3.0 sous Amiga™. Il appliquera la méthode d’Industrial Light and Magic™: commencer par le plan le plus difficile. Celui où le squelette sort du ventre de Yann.
Après avoir calibré l’éclairage 3D à la main (pas de capture photo au fish eye en HDRI), les choses se compliquent pour le sang: Lightwave™ 8.5 ne sait pas gérer les simulations de fluides.
Le seul logiciel capable de le faire ET de communiquer avec Lightwave™ est Realflow™ qui coûte une somme astronomique et ne servira, au pire, que dans trois plans.
Coup de bol: le logiciel propose une période d’essai de trente jours. Amplement suffisant pour apprendre les bases et obtenir un résultat exploitable.
Plus d’une centaine de plans sont à truquer et le tournage express va se payer cher: Il faut des trackers d’images qui sont encore onéreux et balbutiants (on est en 2006).
Jean sera invité à Paris pour assister à une démonstration d’une nouvelle version d’un logiciel de tracking français à 5000 Euros.
La démonstration donne l’occasion de rencontrer en vrai le superviseur des effets spéciaux du film « Immortel » de Bilal™.
Il restera de cette démonstration un bon moment de rigolade avec des questions bien tordues aux démonstrateurs: Leur logiciel plante en plein milieu du plan tourné par un cadreur courant derrière Nico en caleçon. Mais on finit par trouver LE logiciel qui y parvient sans effort : SynthEyes™.
A vitesse d’escargot, le trucage des plans avance : Tout est rotoscopé à l’ancienne et prend du temps, d’autant que d’avoir tourné en DV est loin d’être une sinécure: le format possède des trames héritées des anciennes télés à tubes dont le passage dans les différents logiciels est source de problèmes. Il faut faire des rendus sur ces écrans pour être sûr de la qualité de l’image finale.
Mais avec le temps, de nouvelles idées arrivent et surtout l’envie de tourner une nouvelle ouverture plus nerveuse. On arrive en 2014, cette fois, tout est découpé et rien ne sera laissé au hasard.
Tourné en deux jours, l’introduction remet tout le rythme du film à plat. Fini le contemplatif: ça va défourailler jusqu’à la fin. Trois amis visionnent la nouvelle version avec des effets temporaires et sans bande son. Si l’un regrette le rythme plus posé de la première version, ça jette.
Fin du cauchemar ? On veut y croire. On retourne même un panneau d’ouverture identique à celui de notre premier film tourné à l’époque AOJL.
Mais… le personnage joué par Nico reste toujours en retrait dans le trio: Ce qu’il doit affronter dans la fosse est moins fort que les monstres déjà aperçus avant et le flashback des souvenirs de Yann ne se raccorde pas avec le reste.
Nouveau brainstorming: Il faut retourner à Paris. Cela se fera, mais pas avant 2018.
Autre problème: les trois personnage doivent être réunis dans une extension du flashback de 2006. Yann ne peut venir. Qu’importe, il sera présent avec un tour de passe-passe déjà utilisé dans « Les Aventuriers Maudits »: Sa tête sera coupée (hors-champs). Pour ne pas choquer touristes et futurs mariés, la scène est tourné au petit matin sous le pont Bir Hakeim.
Reste la confrontation de Nicolas avec le maître des lieux. Jean imaginait un squelette en chef plus fort et plus impressionnant que ceux déjà vus. Pour ma part, parmi les nombreuses idées venues au fil du temps, j’avais celle d’un adversaire puisé dans un dessin animé qui a marqué notre enfance:
« Le magicien noir » tiré de l’épisode éponyme de la série Ulysse 31.
capture d’image ©DIC
Sorcier redoutable, il emmène Ulysse et ses compagnons dans une arène virtuelle pour pour s’adonner à sa passion: La chasse à l’Homme.
Mais l’envie d’en terminer rapidement prend le dessus, créer un nouveau personnage crédible en 3D promet trop une sortie aux calendes grecques du 31ème siècle.
La solution, on l’avait déjà devant les yeux: Notre court métrage « Le condamné ». Nicolas s’affronte lui-même mais plus âgé.
En plus, cela renforce l’idée d’une prison dont il est difficile de s’échapper.
Reste enfin à trouver un visuel convaincant pour l’envers de l’arène que va entr’apercevoir le personnage incarné par Jean. Son rôle est d’ailleurs une réminiscence d’un héros de notre premier moyen métrage réalisé au sein du collectif AOJL « Mort au bout du rêve ».
Dans ce film, ce mercenaire à la très forte intuition avait des flashs annonçant de mauvais moments en perspective. Un personnage qui vient aussi de cet indien très intuitif du chef d’œuvre « Predator »: Billy, interprété par Sonny Landham. Cette fois, on montrera la suite du film avec des flashforwards de futurs possibles (et donc des rencontres avec de multiples Jean au sein de cet univers).
Le montage est terminé. Cette fois, tout est parfaitement ajusté et équilibré. Il ne reste que l’univers en dehors de l’arène à trouver. Plusieurs concepts sont testés: Le premier est un immense ciel avec des corps flottants alignés.
Une idée qui ressemble un peu à la salle où flotte les compagnons d’Ulysse 31, victimes de la malédiction des Dieux.
Crédit image ©DIC
Mais la véritable origine de cet autre lieu du film provient de l’excellente série de Philip José Farmer « Les dieux du Fleuve ». Dans ce roman, l’humanité se réveille au bord d’un fleuve flanqué d’une chaîne de montagnes infranchissables. Avant cette curieuse résurrection, le personnage principal se rappelle s’être trouvé flottant parmi une multitude de corps endormis. Plus tard, il découvrira que des êtres ont réussi ce miracle en utilisant des wathans, des containers attachés à chaque être vivant et contenant leur essence.
Parmi les influences graphiques pour arriver au résultat final, on notera l’arrière plan fortement pixelisé du monde virtuel tiré de l’épisode d’Ulysse 31 déjà mentionné plus haut.
Le château final est un croisement entre le Château des Ombres du dessin animé Les Maitres de l’univers™ et le monde médiéval du jeu Quake™
Un Scrag, l’un des ennemis du jeu vidéo Quake d’ID Software
Le mélange noir et blanc / rouge reprend un visuel que Jean avait réalisé pour la jaquette VHS d’Opération Azatep de Samuel.
Dernière étape: augmenter la résolution du film qui est bien loin des standards de diffusion de 2021. Il sera gonflé en 4K avec les derniers progrès de l’intelligence artificielle. Ces nouveaux outils promettent d’ailleurs beaucoup de choses intéressantes pour les créatifs.
Sorti le 1er Janvier 2022, « les derniers éveillés » est officiellement achevé. Une projection mondiale en direct est organisée pour le réveillon avec un public au taquet. Les bons retours seront nombreux les semaines suivantes.
Pendant toute l’année 2022, nous avons proposés le film à une trentaine de festivals autour de la planète. Il est finalement sélectionné au festival de La-Chaux-de-Fonds en Suisse. Malgré la confidentialité imposée par les règlements de ceux-ci (une diffusion publique sur internet est disqualifiante), le film obtiendra plus de 700 visionnages.
Une aventure et un voyage de près de deux décennies se terminent. Merci à tous ceux qui nous ont accompagné dans cette folie, nous sommes vos obligés.
Alexandre et Jean Baudrand
Le bonheur est un rêve d’enfant réalisé dans l’âge adulte
Sigmund Freud